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EXTRAIT | «LA CHRONIQUE KAL ANSAR-LE TAMBOUR SUSPENDU » |

  • Photo du rédacteur: Un Coin Du Sahara
    Un Coin Du Sahara
  • 26 juil. 2020
  • 9 min de lecture

Dernière mise à jour : 19 sept. 2021

Publié chez Harmattan - Mai 2015 par Zakiyatou Oualet Halatine



Introduction de la tribu

« Chaque enfant a quatre parents [1]. L’enfant s’identifiera à l’un d’entre eux par amour, vanité ou contrainte », Adage touareg.
« Le jour où tu ne sais plus avancer, regarde derrière-toi, tu ne verras que l’abîme de l’histoire faite depuis toujours par des hommes, alors, tu sauras avancer ! » Hawalen Ag Hammada, amanokal, 18ème siècle.
« A mal nommer les choses, on ajoute au malheur du monde » Albert Camus
« Dans la vie il n’y a pas de solutions. Il y a des forces en marche : il faut les créer et les solutions suivent. » Antoine de Saint-Exupéry.

Mohamed-Elmehdi nous a quitté le 28 décembre 2014. Même s’il a lu une première mouture de ce travail, mon grand regret est de n’avoir pu le finir de son vivant.

Cette chronique répond au besoin de recueillir le témoignage de Mohamed-Elmehdi Ag Attaher Al Ansari, personnalité contemporaine la plus importante des Kal Ansar : dernier amanokal en date, depuis 1946, acteur influent et respecté de la vie politique de l’attabel[2], du Soudan Français, de l’éphémère OCRS[3] et du Mali indépendant. Les Kal Ansar sont un ensemble humain habitant principalement dans les aires qu’ils nomment : Al’akla, Affala, Azawad, Telemse, Hodh, Méma, Karéré, Arabanda dans les cercles de Niafunké, Goundam, Tombouctou, Gourma-Rharouss, Bourem dans le nord et le centre du Mali. La décision de commencer ce travail en juin 2009, fut motivée par la découverte d’un échange épistolaire entre deux chercheurs au sujet de l’origine des Kal Ansar. J’ai pensé utile de trouver des points de convergence entre eux. La curiosité d’apprendre au sujet de mes ancêtres me poussa à aller de l’avant. Dès mes premières recherches, j’ai cru comprendre d’où me venait l’intérêt pour la conciliation : était-ce vraiment nécessaire de concilier les positions de deux chercheurs ? Déception : cette chronique que j’avais pensée mienne, dans la mesure où elle est celle de mes ancêtres, s’éloignait de moi au fur et à mesure que j’avançais loin dans le travail. Ma fierté se mua en peur face à une histoire qui racontait une infime partie de l’histoire des religions et des peuples de l’Afrique et de la Méditerranée, mais une partie quand-même. Alors, le piège se referma sur moi : fallait-il abandonner ou avancer ? Le salut ne m’est venu que de mes amis qui se sont mis à la tâche avec moi. Ils scrutaient partout les mots « Kal Ansar », « Ansar ». Enthousiasme initial et angoisses se transformèrent en exigence de bien comprendre et transmettre sagement chacun des propos ayant contribué à élaborer cette chronique. Les divergences et les similitudes des récits sont apparues comme la vraie source du travail que je voulais réaliser. Elles devinrent un fil tendu, le long duquel, j’ai cru pouvoir lire l’histoire des Kal Ansar. Il a fallu rester critique, vigilante dans la lecture et l’écoute des propos diversement dits et conclure. Les écrits d’illustres auteurs et des repères avérés ont balisé ce travail. Ce fut un pari difficile, sachant que mes compétences en histoire remontent au lycée. Malgré les imperfections, le résultat obtenu permet, je l’espère, d’imaginer cette « traversée des ancêtres ». Comme l’a dit l’amanokal Mohamed-Elmehdi : « il va de soi que la partie contemporaine est la plus fiable, car plus documentée ». Cependant, il ne faut pas jeter l’anathème sur la partie antérieure : elle reste plausible, selon les informations relatives à cette époque dans les ouvrages comme dans la tradition des Kal Ansar.

Cette chronique comprend trois grands chapitres :

- Le témoignage de Mohamed-Elmehdi Ag Attaher, voix majeure,

- Les éclairages de ses prédécesseurs et contemporains,

- Un essai de synthèse.

La contribution centrale de l’amanokal Mohamed-Elmehdi Ag Attaher Al Ansari est complétée entre autres par des témoignages de personnages importants comme les imanokalan Hammada, (Abba Wan Tibaghawen, le père des lacs (1687- 1775), Mohamed-Ali (Taghlift n Yalla), (1900-1994), frère aîné de Mohamed-Elmehdi et ceux de personnes ordinaires contemporaines de Mohamed-Elmehdi dont des femmes et des jeunes. Des extraits d’archives, des rapports d’administrateurs, coloniaux du Soudan Français[4] et du Mali, des manuscrits et des coupures de presse complètent ces éclairages.. A l’origine du périple qui se termina dans la région de Tombouctou, au cœur du Sahara et du Sahel d’alors, se trouvent Sanba, le pacifique (7ème siècle), Qinwan l’andalou, Yaqub le marocain et Infa le touareg (1567, Aïr-1648, Arawan).

Ce récit aux multiples facettes s’étend de la Fitna (Grande Discorde) à l’attabel.

La propre voix des Kal Ansar raconte leurs liens mythiques avec trois Prophètes : Mossa (Moïse), par l’origine et leur écriture, Ibrahim (Abraham), par l’ascendance et Mohamed par la croyance. Elle évoque leur serment historique de non-violence, la migration des ancêtres et le rejet de l’or maléfique. Elle explique l’origine de leur nom (Kal Ansar, Banu Yantsar [5]), de leur timinia [6] (pouvoir), de leur attabel [7]. A l’origine du périple qui se termina dans la région de Tombouctou, au cœur du Sahara et du Sahel d’alors, se trouvent Sanba, le pacifique (7ème siècle), Qinwan l’andalou, Yaqub le marocain et Infa le touareg (1567, Aïr-1648, Arawan).

Les témoignages mettent en exergue des acteurs de premier plan : les ancêtres lointains qui ont créé le mythe : Sanba, Zoulkarneyni, Qinwan, Yaqub Al Ansar, Hamal (7e -13e siècles); les liens entre le passé Al Ansar et le futur Kal Ansar : Abou Bakr, Alqassim, Alwidane, Almouzaffer (13-15e siècle); les fondateurs et acteurs de l’histoire relativement récente : Almouzammil, Infa (le bien faisant); les bâtisseurs : Qutbu, Hammada, Hawalen, Duwaduwa, Inghalalan, Mohamed dit Babakaïna (17ème -18ème siècles); les symboles de la résistance : Allouda, Ingonna (le héros emblématique, 19e siècle) ; les femmes et les hommes de science, symboles de justice et de sainteté, artisans de la cohésion : Amahilli (fille de Moulaye Ismaël et épouse de Abbanine dit Mohamed Imalen), Makoultou (épouse d’Ahmed Ag Abbanine), Ahbar I, Abilhouda, Ahbar II, Elhaj Bella, Intabardjant [8], Intezarwalt [9], Zouwala [10], (14- 20e siècle); les beautés parmi lesquelles Houria, Moukoultou (fille de Abba n Azahra, considérée sainte et érudite), (Manama (épouse d’Ingonna, considérée d’une beauté rare) (17e-18e siècles); les paravents contre la violence de la colonisation : Allouda, Elmehdi, Attaher, Mohamed-Ali dit Taghlift n Yalla, celui qui, contre toute attente, lia l’histoire des Kal Ansar au Soudan Français et son frère, Mohamed-Elmehdi, dernier amanokal en date, la continuité pour sceller ces liens au sein du Mali nouveau.

A l’image de ces illustres personnages issus de nombreux brassages, le pays Kal Ansar est né de solidarités sociales, politiques, militaires et économiques. Les traces des Kal Ansar se trouvent dans bien de pays : des bords de la Méditerranée aux Iles Canaries, de Chinguetti à l’Aïr, où l’un des dialectes parlés à Agadez était appelé Tinsert (langue des Insar pour Ansar), de la Mauritanie au Burkina Faso, où se trouvent des lointains cousins Deyboussat, Tajjakanit, Idowghali et Iwraghen.

Au Mali, les Kal Ansar se disent apparentés depuis des siècles à beaucoup de communautés touarègues du Mali (région du fleuve, Azawad, Arabanda Affala, Al’akla), Adghah, Azawak, Tamesna, Sonrhay (Songhayten[11] de Gao, Ihaten [12] de Tombouctou) et aux Peuls de la région de Tombouctou. Leur timinia aurait fait des lacs d’Affala (nord), sur la rive gauche du fleuve Niger, un grenier pour le Hodh, tout le nord du Mali jusqu’à l’Adagh et pour la France coloniale. Ils ont payé un lourd tribut en céréales et en bétail pour nourrir la France coloniale durant les 2 grandes guerres. Ce grenier a contribué à nourrir de nombreuses villes dont Tombouctou et Goundam des siècles durant.

Leur entité, disent-ils, a résisté à diverses convoitises dont la colonisation française. Malgré la supériorité de l’armée coloniale (fusils et logistique bien rodée contre sabres, lances et javelots), leur résistance dura sept ans. Cette entité fut victime, entre autres, d’un régime Vichy sourd et aveugle qui s’est employé à la dominer, la diviser et l’appauvrir par les impôts, taxes, la prise en charge des tirailleurs, la fourniture et l’entretien des « partisans », par « l’effort de guerre » en viande et céréales durant les deux guerres mondiales.

La violence que les Kal Ansar voulaient éviter par leur serment, les rattrapa plusieurs fois. Ils se retrouvèrent face à cette permanence des hommes, que Dieu créa porteurs de violence comme de paix. La manifestation la plus récente fut la barbarie des jihadistes dans le nord du Mali. Sans arguments, ni forces organisées à opposer, ils durent subir cette fatalité.

Au-delà des événements épiques et des personnalités à forte aura, c’est leur manière, bien à eux, de gérer les hommes et le territoire qui attire l’attention. Dans un registre plus ludique, ce récit est un infaillible point de convergence des croyances africaines, entre un « commandant timoré », un « amanokal particulier » autour d’un « tambour suspendu », raconté par Mohamed-Elmehdi Ag Attaher Al Ansari, le dernier amanokal en date.

Le choix des chroniqueurs, la transcription, l’agencement des contributions, la recherche et l’exploitation de documentations de référence et la rédaction sont de l’auteure. Pour éviter une mauvaise interprétation et rester fidèle aux récits, les noms désignant les communautés ethniques, les surnoms de personnages sont parfois en tamasheq et écrits en italique. A certaines de leurs apparitions, leur sens usuel est donné. Les noms cités par les auteurs sont restés tels. La formule de Pierre Boiley dans « Kal Adghagh »[13] a inspiré l’orthographe du mot « Kal Ansar ». Les notes en bas de page, quand elles ne sont pas des références ou citations, sont de l’auteure. Les autres mots ont été écrits le plus simplement possible. Un lexique à la fin du document en explique certains. Tous les récits oraux de cette chronique ont été colletés entre 2009 et 2014 en langue tamasheq et pour quelques passages, dans un mélange de français et tamasheq. La traduction en français et la transcription sont de l’auteure.

Ce travail commencé il y a quatre ans, donc avant la crise au Mali, reste dans l’esprit avec lequel il a été entamé, mentionné au tout début de cet avant-propos. Cette chronique rassemble quelques voix qui sont des opinions dans leurs contextes et ne représentent certainement pas toutes les visions, ni des Kal Ansar, à fortiori des différentes communautés du Mali et des autres pays. L’histoire d’un groupe humain inclut forcement les liens en son sein et avec d’autres groupes ; il importe, en lisant cette chronique, de comprendre qu’elle ne vise ni à légitimer un ordre social, ni des revendications et encore moins à porter atteinte à des personnes ou des communautés. Les erreurs et les lacunes de ce travail ne sont imputables qu’à son auteur.

Ce modeste apport est une introduction variée à l’histoire des Kal Ansar, qui pourrait contribuer à changer le constat fait par Ambeïry Ag Rhissa [14] : « l’une des faiblesses de l’histoire écrite des Touaregs est l’absence regrettable de contributions des Touaregs eux-mêmes ».

[1] Comprendre quatre grands parents : deux grands-mères et deux grands-pères. [2] « Un tambour monstre était le symbole du pouvoir, seul le chef de tribu avait le droit de le faire battre. Marty,1920-1921, p.265.» [3] Vers 1950, un projet colonial : une entité qui regrouperait une partie du Sahel et du Sahara. « Mohamed Elmehdi ag Attaher Insar, chef des Kel Insar, de la tribu de Goundam et fidèle de l’US-RDA, était un nationaliste qui croyait à l’indépendance future de l’Afrique de l’Ouest. Les Kel Insar qui comptaient en leur sein de nombreux enseignants, interprètes coloniaux, officiers de la police militaire et politiciens éduqués à la française, étaient sans doute la tribu tamasheq la plus puissante dans le contexte de la politique partisane du Soudan français. Mohamed Elmehdi avait, en tant que chef des Kel Insar, plus d’influence politique, …il était membre de l’Assemblée territoriale, il avait été nommé Haut Conseiller de l'OCRS en même temps qu’Alhassane Haïdara, ce qui signifiait que l’US-RDA disposait de toutes les voix sahariennes au sein de l’OCRS. » dans Baz Lecocq, "L’histoire d'un coq qui grattait le sable : Conflits frontaliers et nationalisme au Sahara à la fin de l'époque coloniale", P.11. [4] Mali sous la colonisation. [5] Traduction du mot Kal Ansar en arabe. Ce mot se retrouve dans le récit de Ibn Batuta. [6] Selon Dr I. A. Youssouf, ce mot dérive d’« amanaï », celui qui est au-dessus. « timinia » veut dire règne, pouvoir. Timinoukala : (exercice du pouvoir) dérive de cette même racine. [7] Royaume – le mot attabel désigne aussi le tambour de la timinia qui symbolise le pouvoir. Ce tambour se transmet d’amanokal à amanokal. L’attabel est fait avec une peau de bœuf d’un blanc immaculé. Cette peau est attachée à une très grande écuelle en bois. A l’intérieur de l'attabel se trouve des grelots en or pour symboliser « l’enfermement et éloignement de l’or satanique de la vie courante».
[8] Surnom du juriste Hama - une partie du règne d’Attaher et du règne de son fils Mohamed Ali, (début de la colonisation à 1946), à Goundam, région de Tombouctou. [9] Surnom du juriste Mohamed - une partie du règne des deux fils d'Attaher, Mohamed Ali et Mohamed Elmehdi. Mohamed eut comme descendance deux filles érudites . [10] Surnom de Mohamed Elmoctar juriste - une partie du règne de Mohamed Ali et Mohamed-Elmehdi. [11] Certains Ihaten (Sonrhaïs) et Ifolan (Peuhls) de la zone de Bamba et Bourem sont appelés par les Kal Ansar, Abbaten, pour dire les « fils de nos pères» ou « nos pères ». Ceci témoigne des brassages qui eut lieu à cette époque entre ces deux communautés . [12] Sonrhay désigne les Sonrhay, Sorko et Armas. Lorsque nécessaire chacun de ces groupes est désigné spécifiquement par : « Sonrhay », « Issarka » et « Arrima ». [13] (Boilley, 1989). [14] (Ag Rhissa, 2008).


1 則留言


Zeinabou Ag Hamahady
2020年7月26日

Bonne rédaction

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