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Femmes touarègues dans la tourmente

Dernière mise à jour : 28 févr. 2022

Extrait du livre publié chez Alfabarre, 2017


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"« Qu’est-ce qu’un citoyen qui doit faire preuve à chaque fois de sa citoyenneté ? », (Saint-Just).

« Œil pour œil, et nous serons tous aveugles », (Ghandi).


" Les histoires de vécus et les propos relatés ici sont ceux de gens ordinaires de la société malienne. Les propos rapportés émanent surtout de femmes touarègues, mais la souffrance et la douleur sont partagées. Ces vécus sont une mosaïque d’expériences qui n’illustrent que certains aspects d’une crise complexe qui dure depuis cinquante ans. Les histoires ont été recomposées et la violence des récits a été atténuée. Le propre vécu de l’auteure apparaît en filigrane.

Le texte comporte trois parties.

La première, intitulée « Balbutiements », est un voyage dans la douleur et l’incompréhension. Simples constats, sans ambition d’apporter des idées nouvelles, ni d’entrer dans un débat didactique.

La deuxième partie, « Regards », expose des points de vue et des interrogations exprimées par des personnes issues de différentes communautés et régions du Mali. Regards complétés par des extraits de publications, d’articles et coupures de presse. Ces points de vue ne peuvent être considérés comme l’expression de toute l’opinion malienne.

Ces réflexions n’ont pas été sollicitées. Elles ne sont ni des réponses à un questionnaire, ni les résultats d’un débat structuré. Elles se rapportent aux périodes de paix comme aux moments de crise _ rébellions, coups d’Etat. Elles sont classées par thème et mettent en exergue des idées qui paraissent trancher avec l’opinion générale véhiculée par les différents camps.

Les argumentations varient suivant l’évolution de la crise. Elles analysent le contexte et les évènements et suggèrent des issues. Elles renvoient à l’histoire du pays, à ses liens avec d’autres parties du monde. Elles portent sur la société, la gouvernance, la sécurité, la justice et le dialogue « inter-malien ». Elles concernent particulièrement la problématique des Touaregs au sein de la nation malienne. Des violences faites aux citoyens dont celles du terrorisme sont rapportées.

Ces différents échanges constituent la trame de fond de cet écrit.

A travers ces pans de vies, la crise est décrite comme l’expression d’une fracture sociale qui se fait plus ouverte, de passions qui se déchaînent et de voix qui deviennent inaudibles. La sagesse se fait rare, le ciment social traditionnel se fissure, le lien social est perverti. Des questions sont posées sur la place et le rôle de chacune des composantes de la société : ethnies, femmes, jeunes, vieux, fonctionnaires, paysans.

Le sens des frontières dans les différentes occupations traditionnelles évolue : certains groupes ou communautés traditionnelles sont de plus en plus stigmatisés. Des groupes et catégories sociaux (ethnies, tribus, fractions, griots, serviteurs), des occupations (pasteurs, agriculteurs, artisans), des habitats (nord, centre ou sud du pays) deviennent des identités figées et « meurtrières » (Maalouf, 1998) : « nomades » versus « sédentaires », « nordistes » et « sudistes », « pasteurs » contre « agriculteurs », « vassaux » versus « suzerains », « esclaves » et « maîtres », « déplacés » ou « réfugiés », « ces gens-là » versus « nous ».

Des interrogations apparaissent à propos de la transmission des savoirs, et de l’acceptation mutuelle des différences. Des voix admettent la difficulté de bien situer les Touaregs dans les perceptions de certains Maliens. Il en résulte une stigmatisation, délibérée ou pas. Certains raisonnements sur les sociétés et groupes ethniques du Mali sont décriés, qualifiés de « honteux ». La question est posée de savoir « qui sont les Maliens aujourd’hui ? », lorsque milices, groupes armés et terroristes confisquent l’attention.

A travers le prisme de la crise malienne sont évoqués d’autres pays d’Afrique, l’Allemagne, la France, les Etats-Unis d’Amérique, la Suisse, ainsi que le rôle des partenaires au développement.

Le constat qui émerge est que la situation se détériore, qu’il est aujourd’hui indispensable de mener une réflexion sans faux-fuyant, plus systématique, plus constructive, plus poussée, sur les problèmes de société, de diversité, de représentativité et du vivre ensemble.

La troisième partie, « Visages », est une petite fenêtre où se croisent des expériences, des ressentiments propres à plusieurs femmes touarègues confrontées à la crise et à ses effets. Elle est faite de fragments de récits recomposés, à partir de faits réels et use de noms d’emprunt.

Ces vies mettent à nu une violence qui semble croître, des hasards qui deviennent une pratique courante, une répétition désolante de morts et d’exactions contre des innocents.

Nous aurions dû sonner l’alarme depuis longtemps ; nous sommes allés trop loin dans l’indifférence à la mort.

Dans sa préface à « Transferts définitifs », Moussa Konaté écrit : « le livre du colonel Assimi Souleymane Dembélé est terrible et édifiant : il montre du Mali une image que peu de gens soupçonnent » (AC, 13 décembre 2007)[1].

Qu’il me soit autorisé de prolonger cette description sans être accusée de vouloir nuire au Mali. Ce qui a été dit, ne serait-ce que du bout des lèvres, au sujet des personnes envoyées au bagne de Taoudenni, dont il est question dans le livre de Assimi Dembélé, ce qui a été fait pour les victimes des différents évènements douloureux survenus au Mali, reste à faire pour les nombreuses générations de Touaregs brisées par l’impunité.

Personne ne naît « bandit », « voleur », « irrédentiste », « rebelle », « putschiste ». Suggérer qu’un peuple entier n’est composé que de telles catégories est indécent et dangereux. Une pensée totalitaire, alors qu’il est aujourd’hui « devenu impossible d’affirmer que le combat, la violence, la guerre représentent la caractéristique dominante de notre espèce. » (Todorov, 2015).

Il est de notre devoir d’êtres humains de prendre une part de la douleur des autres.

Une certitude : toutes les composantes du Mali n’aspirent qu’à la paix et au bien-être.


Balbutiements

Le désert du Sahara fut un lieu où existait une vraie sensation de silence et de paix. Silence et paix qui permettent de se ressourcer. Des explorateurs, des saints, des érudits, des voyageurs reconnaissent ces vertus du désert. « L’amour du silence » y avait attiré Charles de Foucauld[2] (Bazin, 2003). Deux autres saints « Qutbu et Sid Ahmed »[3], (Saad, 1983), y ont vécu. « Cette région de l’Azawad (à Arawane[4]) [fut] un repère de mystiques bien avant le règne de Karidenna[5]. », (Norris, 1975).

L’attirance que le Sahara exerce sur ceux qui l’ont connu en paix est forte. La tentation d’y revenir et d’y vivre est toujours présente.

La solitude du désert donne la latitude de rêver, de construire un monde dans lequel on aime vivre, s’entourer de gens qu’on aime, sentir les parfums qu’on a connus et ceux qu’on imagine, tout cela en paix avec soi et autrui. Il est avéré que de cette solitude forme pour mieux vivre avec ses semblables. Se tenir à l’écart, regarder de loin celui qui vient, l'observer par la fréquence, la droiture de son pas, l’expression de son visage, sa posture, sa parole pour deviner s'il est méchant, bon, paresseux, courageux, voleur, timide, menteur, généreux. Je dis bien deviner, car « l’habit ne fait pas le moine ». Parce que le monde est loin d’être un désert, il nous arrive de ne pas bien distinguer ce qui vient vers nous.

Que ce désert soit aujourd’hui le théâtre de violences majeures plonge dans le désarroi.

C'est une petite partie de cette nouvelle vie de Maliens, de Sahariens, que je tente de partager. Née et grandi dans les villes du nord du Mali et dans les campements touareg, j'ai traversé ceux des bergers peulhs et ceux des pêcheurs. J'ai vu comment d'année en année nos villes et nos campagnes ont changé de visage. Jadis, des campements de plus d’une centaine de tentes s'échelonnaient le long du fleuve, des puits, des lacs ou des mares. Ces campements formaient un paravent autour de celui de leur Amenokal et s’étalaient sur des terroirs d’attache distants tout au plus d'une journée de chameau. Les troupeaux de bétail profitaient des pâturages luxuriants. Les chevaux de race bien entretenus faisaient la fierté de leurs propriétaires. Ceux des Peulhs, des Touaregs et des Maures rivalisaient. On se rappelle encore de cette course qui réunit plus de cent chevaux des riverains des lacs de la rive droite[6] qui fut voulue par les vénérés Sandi[7] Ould Alwata et Sidi Mohamed Ag Zoka[8]. Les joutes intellectuelles entre différents groupes ethniques ne sont pas oubliées : on raconte encore celle qui opposa Hamada Ag Abbanine[9] et Cheikh El Kebir[10] à cette époque, tous deux jeunes apprenants de Sidi Ali Ag Anajjib, ancêtre des Chérifen Kel Inaléhé. On se souvient des échanges d’Ingonna et Mohamed Ali, son oncle, avec les rois des Peulhs, Sékou Amadou et Elhaj Oumar Tall, ainsi qu’avec les Bambara de Dioura.

Les Maliens d’aujourd’hui détiennent encore de quoi revivifier et conforter leur histoire commune.

Des femmes et des hommes qui vivent la crise en parlent avec leurs mots.

D’une relative opulence et concorde, ces peuples se sont retrouvés dans des conflits internes croissants, sur les passages des terroristes, des trafics de cigarettes, d'humains, de drogues. Peu à peu, sous leurs yeux, sous ceux des dirigeants de leur pays et du monde, ces peuples se retrouvent face aux aléas de la nature conjugués avec les dangers créés par l'homme. Aléas et conflits, qu’ils sont de moins en moins capables de gérer. Des peuples se meurent avec le sentiment que certains n’ont d'ouïe que pour les ressources minières dont le Sahara est dit regorger. Depuis fort longtemps, le désarroi est le lot des habitants de cette partie du monde. Ils font les frais de politiques inadaptées, de sécheresses, et de toutes ces violences multiformes qui ont causé la mort et l'exil de milliers d'entre eux. Ils en viennent à se convaincre qu’une partie de la crise au Mali, n’est autre qu’un reflet de l’humanité en peine.

Il faut avancer, la tête haute et le cœur proche, vers nos semblables.

Ici, c’est le cœur qui parle, qui écrit par les mains ; la tête n’y est pour rien. La tête est formatée pour être sage, organisée, novatrice, pour servir et aimer les proches, les voisins, les amis et le pays. La tête veut donc s’affirmer, montrer qu'elle est capable de servir et de faire rêver. Par vanité, elle ne laisse pas le cœur la guider. Ce cœur qui ravale par les yeux, la bouche, les mains, les pieds, l’ouïe tout ce que cette tête pense. Pour se rassurer qu’elle existe, la tête provoque un brin de jalousie par sa perfection. La tête n’avait pas accepté de prendre la mesure du danger qui rodait, ni de s’en protéger. Il fallait, en toutes circonstances, suivre le sillage déjà tracé. C’est ainsi qu’un jour, totalement impréparée, la tête fit face à l’une des gratifications distribuées par la haine, diversement nommées : « inévitable », « hasard », « amalgame », « représailles », « bavure », « otages », « prisonniers », « lapidation ». La tête s’en trouva totalement désemparée. Elle apprend, avec un soulagement cynique, qu’elle n’est pas la seule. Elle réalise que certains luttent contre cette « gratification » depuis longtemps. Cela décourage sa quête de perfection et infléchit sa certitude quant à la force de la citoyenneté, de l’amitié et de la fraternité. La tête fait face au cœur sans témoin, sans alibi, sans faire valoir. Tous deux se regardent ; aucun ne peut se dérober. La tête découvre ce cœur endolori, perdu dans les frustrations de ne s’être jamais exprimé. Ce qui se dresse devant eux les concerne tous. La tête et le cœur reconnaissent leur impuissance. L’îlot qui grouillait autour d’eux devient silencieux et se vide. Les êtres qui l’animaient deviennent étrangers, débitent des paroles inaudibles. Ils font état de leur animosité, évitent de croiser le regard, d’écouter, de partager, prennent leurs distances, ou, dans le meilleur des cas, signifient leur impuissance. Rien d’étonnant, ils sont dans le sillage tout tracé.

« Son Excellence » tentait désespérément d’aider, mais constatant l'inefficacité de son action, il confia à l’oreille : «Vous n’accordez aucune importance à votre succès, mais les gens en sont jaloux. Ils vous en veulent pour votre succès, comprenez !». Les mots d’amitié et de compassion apaisèrent le cœur et la tête, mais ils me laissèrent dubitative.

L’optimisme renaît, et le bon sens avec.

Heureusement, qu’on nous a appris à ne pas chercher réponse à tout. Nous avons appris à distinguer ce qui trouve une réponse immédiate ou habile, et ce qu’il faut se contenter d’ignorer. Mais sommes-nous suffisamment outillés pour tout entendre ? Entendre tout implique de s’interroger sans cesse. Les anciens nous assurent que « pour devenir un virtuose du violon, il faut se lever très tôt le matin, aller trouver les vaches fauves du troupeau, les chasser vers le pâturage et, dès qu’elles partent, s’assoir à leur place et commencer à jouer de son violon. C’est bien ainsi que Tani a su jouer du violon jusqu’à devenir la meilleure violoniste de son époque ! ». Inutile de vérifier, de réfléchir, pour avoir son idée propre, il faut juste agir.

Face au bon sens se dressent parfois de petites phrases anodines, dites presque sans raison, par des personnes remarquables, au détour d’une conversation banale. Le genre d’assertion qui laisse une marque indélébile dans l’esprit. Des années durant, ces phrases interpellent, sans que l’on puisse imaginer une explication ou une réponse. Il sera aussi difficile de trouver réponse à ces affirmations que de percer l’énigme des vaches fauves et du violon. Certaines continueront de nous harceler, hors de toute emprise. Comment comprendre que des personnes aux mains tachées du sang d’innocents, dont des femmes et des enfants, soient élevées au rang de « héros de la nation ». Comment entendre et accepter cette question posée par une amie lors d’un banquet huppé à Vienne : « Qu’est-ce que cela fait de savoir que l’on appartient à un peuple qui est appelé à disparaitre ? » Une disparition programmée des Touaregs ?

Quelques années, plus tard, une personnalité influente de mon pays me confia : « Nous autres, on nous garde seulement pour nous faire disparaitre petit à petit ». Au moment précis, où cette personnalité me fit part de sa conviction, fruit d’une mûre réflexion sur ce monde, mon esprit, sans aucun effort, fut mis en alerte, interpelé par la similarité avec les propos de mon amie de Vienne. Mon corps entier sursauta ; je me vis plonger dans un mutisme involontaire. Par la mine de l’importante personnalité, je compris qu’elle attendait une réponse. Je compris aussi que la question m’était posée en tant que membre d’une communauté, une appartenance que je croyais avoir dépassée. Quelques minutes passèrent pendant lesquelles j’étais dans l’incapacité de rassembler mes idées. Mon interlocutrice venait de mettre le doigt sur une crainte que j’avais enfouie au fond des arcanes de mon cerveau, mais contre laquelle le tréfonds de mon âme n’a jamais cessé de me mettre en garde. La question est maintenant devenue une affirmation, une certitude presque. Je pensais être prête à répondre car, pour contredire cette prémonition, j’avais des réponses et des arguments développés depuis la question à Vienne. Je n’ai cessé de les classer dans mon esprit et les traduire dans chacune des langues usitées : français, bambara, tamasheq, sonrhaïs, anglais, russe. Ces langues et leurs us qui, depuis fort longtemps, m’ont donné le goût d’un monde globalisé, au point où elles n’auraient plus de frontières et de particularités, mais seulement des similitudes qui rendent plus émouvant chaque mot d’une langue parce qu’enrichi des sens possibles de ses équivalents dans les autres langues.

Cette question de la disparition, toujours posée en temps de fragilité, m’a beaucoup déconcertée. A Vienne, j’eus du mal à trouver une réponse ou une esquive. Face à ma deuxième interlocutrice, je fus en plus irritée, à cause du grand pessimisme dont elle était porteuse et du fait que je m’interrogeais sur le « nous » : s’agissait-il des Africains en général, des Touaregs, ou d’autres individus sur cette terre ?

Cette remarque, faite par deux femmes, dans deux continents éloignés et aux réalités différentes, provoquée à chaque fois par ma vue, une partie de mon identité, m’obligea inconsciemment, probablement par instinct de survie, à marquer mon territoire contre ce pessimisme. Une réponse optimiste était nécessaire, pensai-je. Mon esprit embrouillé ne pouvant rebondir sur l’une de mes réponses déjà toutes faites, ma bouche débita : « Le monde serait alors trop triste, Madame, si des cyniques venaient à décider avec légèreté du sort de certains groupes d’entre nous, humains. »

« Ah ! dit mon interlocutrice, c’est bien que tu penses le contraire. Cela me remonte le moral, car moi, c’est l’impression que j’ai ! Tant mieux alors ! »

Reposée à plus de vingt ans d’intervalle, la question à la connotation lugubre, me force de reconnaître qu’elle est rationnelle, et que je ne peux plus l’ignorer. Si la première fois, je me refusai à l’envisager comme un possible scénario voulu par certains, la deuxième fois m’imposa de reconnaître que l’existence d’un tel courant d’idée ne pouvait pas être niée. Sans chercher à connaître les raisons qui amenèrent mes interlocutrices à de tels raisonnements, je rajoutai une autre justification banale : « Ce serait dommage que cela se fasse. Qu’une partie des humains disparaisse, par le fait des autres, n’est jamais réjouissant. J’espère seulement que cette éventuelle disparition n’est pas liée à un espoir de butin. Car cela voudrait dire que nous, les hommes, n’avons pas su changer nos habitudes de prédateurs et restons incapables de faire face à des défis majeurs. »

Mon optimisme prit un coup au point où, je ne pus m’empêcher de me redemander continuellement le degré de certitude de mes interlocutrices. Cette question surgissait en moi chaque fois que les signes annonciateurs d’une crise au Mali refaisaient surface. Des antagonismes profonds, entre des individus d’une part, et, d’autre part, entre des groupes d’individus et l’Etat, réveillaient des sentiments nationalistes, sectaires, racistes tout en prônant un réalisme et un patriotisme.

Ces soi-disant réalisme et nationalisme se voulaient des mises en garde à la société, des rappels à l’ordre du pouvoir, mais ils ne généraient qu’une méfiance : l’Etat avait peur d’une partie de ses citoyens, les citoyens avaient peur les uns des autres et de l’Etat. Les citoyens les plus éloignés du centre de pouvoir finissaient par être considérés comme des ennemis. Le vivre ensemble se détériorait et les dérives les plus abominables s’ensuivaient. Ces dérives exprimaient le désarroi du citoyen. Des facteurs exogènes inopportuns viennent exacerber cette tendance. Un tel climat peut se transforme en insurrection, anarchie. Ces périodes s’entremêlent avec « les luttes démocratiques ». Arrivera-t-on à séparer la graine porteuse de changement bénéfique, de celle inopportune et dangereuse ? Déjà, il faudrait magnifier le dialogue permanent, serein et non partisan pour réduire l’intensité des crises et ensuite espérer trouver des solutions dans une relative tranquillité. Il ne faut laisser échapper aucune opportunité de dialogue. Le pouvoir, ne devrait pas être l’ennemi, le concurrent du citoyen, mais son premier allié. Tout ce qui peut être concédé au citoyen ne sera jamais de trop.

L’histoire des vaches fauves et du violon nous vient d’un passé lointain. Aujourd’hui de nouveaux défis surgissent :

La problématique des « faibles et des géants » en permanence soulevée par certains d’entre nous Maliens, Africains riches ou pauvres, qui ressentent et débitent parfois une haine contre ces « géants » qui nous écrasent. Cette haine jure avec sa doublure, une attirance forte mais parfois destructrice. Moins forte chez ceux qui vivent confortablement, peuvent se procurer chez les "géants" de quoi parer leur vanité et y planquer leurs réserves…"au cas où". Ils secrètent et propagent cette fausse haine des "géants", boucs émissaires des insuffisances et dérives de nos Etats. Pensent-ils se disculper aux yeux des leurs et plaire ? Mais qu’est ce qui importe vraiment, pour l’aisé comme le pauvre ? Peut-être est-ce de ne jamais oublier d’où ils viennent. Au pauvre cela donne des ambitions ; au riche, le confort. Dans l’absolu, le pauvre et le riche sont-ils ennemis ? Alors, pourquoi cette peur de l’autre ? Cette peur qui peut faire manquer au citoyen ses devoirs envers l’Etat et envers ses semblables. A l’Etat, elle fait oublier les droits des citoyens. Le fossé entre le droit et le non droit en devient mince. Ne serait-ce pas notre devoir de lutter en permanence contre la peur pour espérer garantir le respect de nos droits ?

Lutter contre la peur, mais aussi contre la punition collective, qui peut s’ensuivre. La punition collective à l’endroit de personnes innocentes_ « si ce n’est ton frère, c’est toi » _ révèle l’incapacité ou le manque de volonté à bien cerner un mal et à lui trouver une vraie solution. Parfois, c’est une volonté de stigmatiser. La punition collective prouve l’absence d’un fonctionnement normal de l’Etat, qui peut aller jusqu’à sa défaillance. La punition collective mine certains de nos pays africains qui, depuis les indépendances, n’arrivent pas à trouver la clef du vivre ensemble. Quand la punition collective est pratiquée de façon courante, la société entière doit s’inquiéter car n’importe qui peut en être la prochaine cible.

La punition collective est aussi l’arme principale des terroristes. Une arme extraterritoriale et diffuse, qui ne fait aucune distinction entre les citoyens de différents Etats, entre les communautés et les confessions. Elle pousse à une fausse « solidarité ». La peur qu’elle suscite mine la confiance du citoyen en son Etat, en la capacité de celui-ci de protéger. Elle érode la confiance entre concitoyens et celle en l’être humain. C’est en cela aussi que réside son autre nocivité. Les simples citoyens auront-ils besoin de plus de présence et d’accompagnement pour se prémunir ? Serons-nous persuadés de la nécessité d’une gouvernance mondiale sur les problèmes relatifs à la sécurité et aux droits des citoyens. Aurons-nous l'imagination requise ? Serons-nous emmenés à être encore plus solidaires et conscients de la nécessité de fédérer le monde, les Etats, les sociétés et à rétablir un climat social et politique plus équitable, plus paisible ?

En ces temps d’incertitude, au nom de la sécurité, la punition préventive tente de plus en plus fréquemment. Une punition par « principe de prudence » résultant d’un procès d’intention et d’une difficulté à appréhender les fauteurs. Elle révèle la peur et l’incapacité de certains gouvernants à clairement identifier les fauteurs, à faire respecter le droit. Peut-être même la volonté de bafouer celui-ci. La punition par principe de prudence contient les germes de "l’anti-démocratie". Elle peut conduire à un manque de respect des droits élémentaires du citoyen tant elle est autoritaire, tendancieuse et arbitraire. Elle ne sanctionne plus une faute ou un crime avérées, mais une présumée capacité potentielle de nuisance. Comment pourra-t-on bien cerner les limites de tolérance de l'utilisation du principe de prudence ?

En attendant, il urge de donner le maximum d’appui et d’accompagnement aux citoyens et des moyens aux gouvernants pour les protéger des actes qui justifient la punition collective et la punition par principe de prudence.

C’est notre responsabilité d’humains vis à vis de nos semblables et celle de l’Etat vis-à-vis de ses citoyens qu’il faut engager, afin qu’aucun innocent ne soit puni.

Les objectifs inaccessibles apportent parfois de la désolation. C’est le cas de la problématique des droits de l’homme qui apparaissent comme un fourre-tout qui ne satisfait ni les gouvernants, ni les gouvernés, ni le corps judiciaire qui peine à justifier son inaction. Comment alors garantir le droit pour espérer une équité ? Devons-nous renforcer nos lois avec une réglementation claire pour l’équité ? Devons-nous simplement nous réapproprier la déclaration universelle des droits de l'homme qui affirme : "l'ignorance, l'oubli ou le mépris sont la seule raison des malheurs du monde" ? L’équité de l’Etat envers ces citoyens, s’exprime aussi par sa présence auprès de ceux qui subissent les épreuves. L’épreuve est multiforme : la peine face à l’indifférence, la douleur physique et morale. Il y a aussi la peur de ne pas être à mesure de contenter son éthique, la hantise de voir une brèche de haine s’ouvrir ou d’être incapable de déceler tôt les prémisses d’un embrigadement multiforme (religieux, communautariste, sectaire, idéologique, reniement des siens et de soi et des autres) basé sur un fort sentiment d’injustice.

Comment dégager notre responsabilité d’humains ?

Comment préserver et susciter l’empathie ?

Comment garder l’esprit alerte ?

Comment susciter l’espoir dans nos sociétés, cette forme merveilleuse de remise en cause et de motivation ?

Ne devons nous pas prêter plus d’attention aux épreuves que subissent nos semblables pour espérer avoir des sociétés plus équitables ?

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[1][1] - Assey AC, dans ce même article, porte son jugement en disant : « Evidemment, « Transferts définitifs » est terrible parce que rempli d’atrocités, de cruauté, de méchanceté, œuvre de Maliens en l’endroit d’autres Maliens. Il est édifiant car on y tire des leçons, on apprend par l’effet d’une loi cosmique, d’une justice immanente de l’univers que chaque acte, bon ou mauvais, a ses conséquences méritées. Comme le dit l’adage : on récolte ce qu’on a semé. » [2] - Français, explorateur, ermite et saint du début du 20e siècle. [3] - Sidi Ahmed Ag Adda El Suqqi, ancêtre des Kal Arawane.

Qutbu Ag Mohamed Ag Infa Al Ansari, ancêtre des Kal Ansar. [4] - Terroir au nord de Tombouctou. [5] - Karidenna (1647-1743), Amanokal (suzerain) des Iwillimmiden qui a régné sur le nord de l’actuel Mali. [6] - Rive droite du fleuve Niger, Arabanda en tamasheq, Gourma en français. [7] - Sandi et son fils Boudahma furent des chefs politiques et spirituels des Kounta de l’ouest (Gourma), une tribu maure au Mali. [8] - Raccourci de Zoulqarnaïni. Les deux furent chefs politiques et spirituels des Chiokhanes, une tribu touarègue du Mali. [9] - Descendant de Qutbu. [10] - Kounta, érudit et chef de confrérie.

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